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Je me souviens de ce que m’avait dit un vieil homme, alors que j’étais encore un jeune marin, et avant que je ne devienne officier et, par la suite, capitaine au long cours : « La mer est sûre sauf si l’on oublie qu’elle est dangereuse ». Au vu des « forces » de la nature – le vent, les grains, la houle, les courants, les volcans, les ouragans, les typhons, etc. –, il ne peut de toute évidence être question de douter de cette affirmation.

Au cours de mes plus de 50 ans de carrière, la nature m’a fait comprendre, à deux reprises, que je pouvais m’inquiéter sérieusement quant à savoir si je rentrerais chez moi. La première fois, ce fut quelque part au sud de la Nouvelle-Zélande, sur l’itinéraire de « Great American ». Un système de grains, sous ces latitudes, évolue sur quasiment toute la circonférence de la Terre en suivant, généralement, une trajectoire Ouest-Sud-Ouest. Une tempête extrêmement violente, lors de cette traversée, avait généré des vents, depuis le Nord-Ouest, et du fait de ce système de grains habituel ainsi que de cette tempête, qui provenaient de deux points différents, la mer était particulièrement chaotique. Il fut impossible de dormir pendant près de deux jours, à bord du petit navire scientifique sur lequel je naviguais, alors que nous nous battions pour maintenir un cap vers le Nord, afin de nous abriter près d’une île au pied de la Nouvelle-Zélande. La diligence la plus totale est requise, dans de tels moments, en matière de navigation, sans quoi le navire est susceptible de subir de sérieux dégâts, le risque étant alors de perdre.

Le deuxième incident a eu lieu en mer de Chine méridionale, où nous avons été pris par un typhon, qui ne nous avait laissé qu’une très faible marge de manœuvre. Des vents de plus de 75 nœuds et une hauteur de houle d’au moins 10 mètres nous ont contraints de mettre en panne, tempête à bâbord, puis d’accélérer d’environ 10 nœuds. Nous avons fait en sorte de maintenir notre cap, malgré un tangage et un roulage par moments des plus violents, mais notre « vitesse sur le fond » affichée par le GPS montrait que nous évoluions, en réalité, à environ trois nœuds à reculons. Cette situation a duré 12 heures, jusqu’à ce que le temps se calme un peu. Nous avons alors retrouvé un sens de navigation adéquat. Je n’ai eu connaissance du fait le plus alarmant que le lendemain matin, lorsque l’ingénieur en chef m’a informé qu’il avait dû s’occuper, toute la nuit, d’un problème au niveau de l’un des cylindres du moteur principal. Le moteur aurait pu s’arrêter, ce qui aurait été désastreux.

Les volcans sous-marins ne sont pas rares dans la partie occidentale de l’océan Pacifique. Des forces extrêmes de la nature peuvent provoquer une éruption sous-marine, qui se traduit par la formation de grands nuages de vapeur à la surface de l’eau. Si l’éruption se poursuit pendant une longue période, une petite île peut émerger. La Grande île d’Hawaï en constitue un exemple typique. Des millions d’années après le début de sa formation, elle continue de grandir. La pierre ponce constitue l’un des produits de ces volcans sous-marins. Lors d’un quart, un jour, pendant une traversée du Pacifique, et alors que je m’affairais sur le bateau, j’ai levé les yeux et j’ai cru un instant que nous étions sur le point de nous échouer sur un banc de sable. C’était pourtant du domaine de l’impossible, étant donné l’extrême précision des données de position du navire, mais tout de même extrêmement préoccupant. J’ai supposé que le « sable » que je voyais était en fait une large masse de pierre ponce flottante de couleur claire, dont la présence était due à une perturbation souterraine très probablement provoquée par un volcan.

Ces quelques mots m’inspirent cette autre expression populaire : « Aime la mer mais respecte la pleinement. »