Après mes études au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à la fin des années 1970, un poste m’a été offert à Washington par Analytic Services, Inc., un prestataire du Bureau du Secrétaire de l’Armée de l’Air. C’était pendant la Guerre froide, alors que le monde s’était aligné soit sur les États-Unis, soit sur l’Union soviétique. Nous avons étudié les B-52 et les ICBM de notre triade nucléaire stratégique. Ayant effectué mes études pendant la guerre du Vietnam et les manifestations qui avaient lieu dans le pays, ce choix de carrière pouvait sembler étrange. Je ne l’ai pourtant jamais regretté. Le personnel était intelligent, particulièrement éduqué et titulaire de diplômes de haut niveau. Un grand nombre de ses membres étaient issus du service militaire actif, et tous étaient dévoués et travailleurs. Il ne comptait aucun va-t-en-guerre.
J’ai été amené, dans le cadre de ce travail, à faire la connaissance de Steve Schanzer. Il avait travaillé pour la société, qu’il avait quittée pour quelques années puis réintégrée. Du fait de délais dans l’obtention des habilitations de sécurité nécessaires, il a été affecté à un projet sur lequel je travaillais. Steve, dans sa vie privée, était navigateur. Il possédait un grand sens de l’humour, et il était doué, de toute évidence, d’une intelligence nettement supérieure à la mienne, mais était suffisamment modeste pour ne jamais le relever. Nous avons noué de très forts liens d’amitié. Nous sommes restés amis jusqu’à ce jour et il était présent aux Sables d’Olonne, avec sa femme Roz (une auteure et illustratrice de livres pour enfants lauréate de plusieurs prix), pour le départ du Vendée Globe.
Steve a travaillé dans cette société pendant plusieurs années après mon départ, puis pour la Defense Intelligence Agency (DIA), l’équivalent, pour le ministère de la Défense américain, de la Central Intelligence Agency (CIA). Il a gravi les échelons, au cours des 15 années suivantes, jusqu’à accéder au poste de directeur des services d’information – l’un des civils de plus haut rang de l’agence –, auquel il a dirigé un réseau mondial de systèmes d’information. Il a œuvré, au sein du gouvernement, à préserver la sécurité du pays.
J’ai eu le privilège de rencontrer et de lier des rapports d’amitié avec de nombreuses personnes ayant réussi dans divers domaines, aux États-Unis et à l’étranger : dans la voile, les affaires, la finance, l’art et le professorat. Mais la carrière la plus admirable que je connaisse est celle de Steve, un fonctionnaire du gouvernement.
Steve était doué de capacités d’analyse, d’un esprit logique et d’une grande perspicacité, qu’il aurait pu mettre à profit dans n’importe quel autre secteur. Il était également un génie de l’informatique, et aurait incontestablement pu opter pour une carrière dans la Silicon Valley, dans le secteur privé, où il aurait connu un grand succès, et où il aurait gagné plusieurs fois son salaire de fonctionnaire. Il a pourtant choisi d’effectuer toute sa glorieuse carrière au sein du gouvernement, et d’y travailler dans l’ombre, pour vous et pour moi.
Voici ce que Steve a pu me confier sur son travail (il détenait des habilitations d’un très haut niveau sécuritaire, et l’essentiel de son travail était top secret ou d’un degré de confidentialité encore supérieur) :
a. Steve a débuté sa carrière au sein de la DIA en tant que chef de la division Union soviétique/Pacte de Varsovie, à la tête d’une équipe d’analystes militaires et civils talentueux en charge de la production des rapports d’intelligence relatifs aux forces militaires russes. Une opportunité unique a été offerte à la DIA, au bout de quelques années, de conduire une étude hautement confidentielle. Une telle étude n’avait jamais été confiée à des services autres que militaires. Steve a été désigné pour diriger ce travail, qui a duré un an. La pression qu’il a subi pour ce travail était intense, mais celui-ci a été couronné de succès, et a conduit à une révision immédiate et à une amélioration des bases de données sur les forces militaires de la DIA, ainsi qu’à des études de suivi similaires dont la conduite a été assurée par les services militaires.
b. Le gouvernement américain compte 16 agences de renseignement, et l’information, malgré le caractère crucial de sa diffusion d’une agence à l’autre, était souvent retenue par les différentes agences, qui tenaient à en garder l’exclusivité. Cet état de fait a commencé à véritablement poser problème lors de la première guerre du Golfe, en 1991. Des rapports de conclusion ont relevé l’importance du partage des renseignements et la nécessité de l’améliorer. Le directeur de la CIA, James Woolsey, a donc confié à Steve la direction d’un travail d’amélioration du partage des renseignements entre les 16 agences et leurs clients. Steve a constitué une équipe de représentants de chaque agence et a développé un réseau Internet international, dont il a supervisé la mise en œuvre et la gestion, plus d’un an avant que les premiers sites Internet commerciaux soient mis en ligne. Cette entreprise a donné lieu à d’importants bouleversements dans la manière dont les rapports de renseignement étaient produits et diffusés, et les progrès furent tels qu’il a été demandé à Steve d’effectuer une présentation à l’attention d’un groupe de hauts dirigeants du 10 Downing Street (résidence du Premier ministre britannique).
c. Steve a été désigné pour faire partie du National War College, un programme de sécurité nationale de haut rang destiné à préparer les futurs dirigeants militaires et civils à l’exercice de responsabilités politiques de premier plan. Steve et un groupe d’une dizaine d’étudiants ont entrepris une tournée, en Amérique centrale, où ils ont rencontré des chefs d’État, des secrétaires de la défense, d’État, etc., de divers pays ; Steve et Roz ayant adopté un garçon salvadorien et une fille équatorienne, la connaissance de cette région par Steve l’a conduit, de facto, à prendre la direction du groupe.
d. Steve a été décoré par le Président George H. W. Bush, pour son travail au sein de la DIA, du « Presidential Rank of Distinguished Executive ». Il n’était que le deuxième agent de la DIA à bénéficier de cet honneur. En tant que « personnage de l’ombre », il n’a pas pu assister à la cérémonie organisée à la Maison Blanche avec les autres agents concernés. Et pour son travail sur le partage de l’information, le directeur de la CIA lui a également décerné la « National Intelligence Distinguished Service Medal », une des plus hautes distinctions de la communauté du renseignement.
Notre inspiration peut venir de toutes sortes d’exemples dans le monde. Nous devons juste faire preuve d’ouverture d’esprit, et ne nous fermer à rien. La carrière la plus formidable que je connaisse est donc celle de Steve, un fonctionnaire du gouvernement américain.