La première aventurière

Nous avons navigué toute la nuit sans encombre, au débridé, à travers et un peu dans les vagues, sous trinquette et deux ris dans la grand-voile Nous avons essentiellement eu du 25 nœuds de vent, et un peu plus de 30 à travers le pont. Le mouvement était supportable, mais l’immense fracas des vagues, par moments, était infernal. Le rugissement constant du vent à travers le gréement vous rappelle, seconde après seconde, le caractère hostile de cet environnement. Ce sentiment est renforcé par les éclaboussures de presque chaque vague contre le haut de la cabine. Le tout est très éprouvant pour les nerfs, et il est difficile de faire une sieste et de se procurer quelque repos que ce soit.

Après la course New-York – Vendée le printemps dernier (à laquelle nous n’avons pas participé), une histoire de Jérémie Beyou avait cours sur l’utilisation d’un casque antibruit pour essayer de trouver un peu de quiétude, et sur le fait que les nouveaux « foilers » étaient en réalité encore plus bruyants que les Open 60 ordinaires. Je lui ai envoyé un email pour lui demander davantage d’informations à ce sujet. Il m’a gentiment répondu que c’était efficace, en effet, et me l’a recommandé. Je m’en suis donc procuré un. Et la nuit dernière, je l’ai enfin vraiment essayé.

Le premier indice en cas de problème, en mer, est souvent l’occurrence d’un nouveau bruit au milieu de la cacophonie habituelle. Le risque, avec le casque, est donc de ne plus entendre les bruits. L’absence de sommeil constitue cependant également un risque. Je peux brancher le casque à l’iPhone, en même temps, pour écouter de la musique. Chose très étonnante, si je le mets à la table des cartes, c’est très confortable, et la plupart des bruits sont atténués, au moins un peu, mais quand j’appuie sur le petit bouton, c’est le silence total, et c’est formidable ! J’ai donc décidé d’allier les deux, le casque antibruit et la musique, et j’ai écouté des chants grégoriens, si apaisants.

Je ne me suis même pas rendu compte que le CD s’est arrêté, quand il est arrivé à la fin, tellement je dormais bien. Dans le vacarme des vagues et du vent !

Un petit quizz sur les États-Unis maintenant. Quels sont les États le plus à l’Ouest, le plus à l’Est, le plus au Nord et le plus au Sud des États-Unis ? Sans hésiter : l’Alaska, l’Alaska, l’Alaska et Hawaï. L’archipel des îles Aléoutiennes de l’Alaska s’étend de part et d’autre de la ligne internationale de changement de date, et se situe donc à la fois dans l’hémisphère Est et dans l’hémisphère Ouest.

J’évoque cela car nous avons franchi la longitude de Fairbanks, une ville de l’Alaska d’une grande importance pour moi, bien que je ne m’y sois jamais rendu. Ma mère, décédée en 2010, à l’âge de 93 ans, a grandi à Tacoma, dans l’État de Washington, puis est allée vivre à Fairbanks après le collège, en 1940. Elle y a contribué à la création de la première station de radio commerciale du territoire de l’Alaska (qui n’est devenu un État que 20 ans plus tard). Elle a animé l’émission d’actualités locales, Tundra Topics, toujours diffusée aujourd’hui.

Quelle aventure ! Et quel courage, pour une femme célibataire, de partir vivre sous une latitude de 64 degrés Nord, à l’âge de 23 ans ! Ma mère fut véritablement la première aventurière de la famille ! Et bien que j’aie moi-même vécu un certain nombre d’aventures, je les vois toujours comme un moyen de me montrer à sa hauteur !

Elle était tellement modeste, et avait l’habitude de dire qu’elle avait juste profité de « de formidable opportunités ». Beaucoup auraient reculé, pourtant, devant de telles opportunités.

Quand j’ai participé au Vendée-Globe de 2008, ma mère était lentement en train de décliner, et d’abandonner sa vivacité d’esprit à Alzheimer. Les soignants qui s’occupaient d’elle m’ont cependant affirmé qu’il ne faisait aucun doute qu’elle s’était rendue compte de notre passage du cap Horn, et qu’elle était alors plus sereine.

Elle a exercé une énorme influence sur mon existence. C’est l’éloge que j’ai prononcé lors de ses funérailles.

Position
50° 11’S x 139° 09’O
Cap
113° T
Vitesse
16 nœuds
Distance parcourue
18 017 nm
Vitesse du vent réel
19 nœuds
Direction du vent réel
10°
Voilure (cliquez pour le schéma du plan de voilure)
Grand-voile (1 ris) plus solent