Il y a les compétences, en mer, mais il y aussi la chance. Les navigateurs ont besoin d’une dose égale des deux.
Le Vendée-Globe de cette année est la preuve que les compétences ne suffisent pas toujours. Onze des 29 skippers de la course ont dû abandonner à cause de différents coups du sort, dont une collision avec des objets flottants non identifiés et une défaillance du pilote automatique ayant abouti à un démâtage.
Le caractère superstitieux des marins, et leur croyance dans une foule de forces spirituelles, à la bénédiction desquelles ils ont l’habitude de s’en remettre pour leur protection et le bon déroulement de leur traversée, au vu de l’importance du facteur chance, n’a rien d’étonnant. L’une de ces forces spirituelles, la déesse chinoise des mers Tin Hau, également appelée Mazu, a joué un rôle particulier nous concernant. En 2003, avant demettre les voiles pour New-York, depuis Hong-Kong, avec Rich du Moulin, nous avons visité l’autel de Mazu de High Island (Leung Shuen Wan), à Hong Kong. Nous avons allumé de l’encens, après avoir atterri sur l’île, en hélicoptère, pour demander à la déesse de bénir notre traversée. Et nous devons peut-être à la bienveillance de Mazu d’avoir effectué une traversée sans encombre et battu le record de vitesse établi en 1849 par le clipper Sea Witch.
Nous avons de nouveau sollicité Tin Hau il y a quelques jours. Steven Chen, directeur général de la division Éducation du groupe taïwanais UDN, un de nos partenaires de l’éducation, et Jeffrey Williams, notre conseiller sitesALIVE pour la Chine et Taïwan, ont visité le temple de Tin Hau de la ville natale de Steven, Ilan, à Taïwan, et ont brûlé de l’encens en notre honneur. Ilan est une ville de pêcheurs, par conséquent le temple est assez ancien. Nous surmonterons toutes les difficultés, selon Steven, et nous serons bientôt de retour chez nous. « Bonne navigation, et prenez soin de vous », nous a-t-il écrit. « Nous attendons tous votre visite, pour que vous fassiez part de vos formidables récits à nos écoliers. »
Tin Hau est la forme déifiée du Lin Mo ou Moniang historique, un shaman de Fujian réputé avoir vécu autour de 960. D’aucuns racontent qu’ils ont vu la déesse debout sur le rivage, en habits rouges, guidant les bateaux de pêche vers chez eux, par tous les temps, et que celle-ci a sauvé des membres de leur famille surpris au large par un typhon. Vénérée, depuis sa mort, en tant que patronne des marins, elle est réputée arpenter les mers et œuvrer à la protection de ses croyants par des interventions miraculeuses. Dans l’ancienne Chine impériale, les navigateurs voyageaient souvent avec des effigies de Mazu. Certains bateaux transportent encore de petits autels sur leur proue. La déesse, de nos jours, est vénérée dans plus de 2 000 temples, non seulement des régions littorales de Fujian et de Taïwan, mais également d’autres régions du monde où d’importantes diasporas chinoises sont établies, telles que l’Asie du Sud-Est et même Honolulu. Les temples en son honneur ont été parmi les premiers érigés par les Chinois à leur arrivée dans les différents pays en guise de remerciement pour le bon déroulement de leur traversée.
Il y a un mois et demi, lorsque nous avons traversé l’équateur, et alors que nous pénétrions dans l’océan Austral, nous nous demandions comment notre traversée se déroulerait. Nous avions hissé des drapeaux de prière tibétains, pour la traversée, qui nous avaient été remis par Scott Hamilton, un vétéran du Mont Everest. Les cinq drapeaux – chacun, d’une couleur différente, représentant l’un des cinq éléments, la terre, l’eau, le feu, le vent et le ciel – ont été bénis par un grand lama, au cours d’une cérémonie religieuse organisée spécialement au Népal. Chacun des drapeaux en ma possession arbore l’image d’une puissante déité protectrice.Mon favori, Lung Ta ou le « Cheval du vent », sur le drapeau blanc (celui du vent), symbolise la liberté de mouvement, la santé, la chance et la réussite. Les Tibétains considèrent que les prières et les mantras imprimés sur les drapeaux seront emportés par le vent pour diffuser la bonne volonté et la compassion. En hissant les drapeaux au niveau de la poupe, nous permettons à Luang Ta d’adresser sa bénédiction à tous les êtres.
Nous avons récemment essuyé des grains, et nous serons sans aucun doute confrontés à de nouvelles épreuves, avant de franchir de nouveau l’équateur, en direction du Nord. Nous hisserons alors les drapeaux tibétains pour la deuxième fois. La chance joue un rôle important, et nous espérons que le Roi Neptune, Tin Hau, Lung Ta et les autres forces spirituelles continueront de nous sourire.
Article de Louise Bullis Yarmoff