On résiste. Une très mauvaise nuit. La violence avec laquelle la mer peut écraser un bateau est indescriptible. J’ai l’impression d’être dans le « Typhon » de Joseph Conrad.
La situation était terrible quand le front s’est approché. On se dirigeait vers l’est, traversant les mers avec un vent de nord, et donc avec un train nord vers sud. Le bateau bondissait sur des vagues de parfois 4 m puis s’écrasait dans le creux, et je n’ai aucune idée de comment le mât et la quille ont fait pour rester intacts. Les bateaux sont pour la plupart à fond plat, et quand ils atterrissent, c’est comme un accident de voiture, ou plutôt comme un accident de voiture en continu.
Ensuite, quand le front est arrivé et que les vents ont tourné de nord à nord-nord-ouest à nord-ouest à ouest-nord-ouest, nous l’avons suivi à angle droit. Le problème a ensuite été que nous avons fini par naviguer directement dans la mer qui était montée, et les impacts sont devenus bien plus violents.
Impossible de se tenir debout dans le bateau sans se tenir avec les deux mains. Il était donc presque impossible de faire quoi que ce soit dans le cockpit. Et vous ne pouvez pas non plus vous asseoir à la table des cartes sans vous tenir d’une main, donc il est très difficile d’écrire. Les impacts ont éteint l’écran de l’ordinateur au moins six fois la nuit dernière, ce qui signifie que je devais aller derrière la table des cartes et rallumer l’ordinateur portable, ce qui n’a pas l’air si compliqué, mais il faut s’asseoir sur une surface plane et vous pouvez très bien être projeté à 2 m dans n’importe quelle direction.
Donc je crois que c’est là que le chaos a vraiment commencé.
J’étais assis à la table des cartes, je regardais les instruments, dont le barographe qui indique à quel niveau de la tempête nous nous trouvons, et à quel moment nous passons le milieu et le front. Je me tenais avec la main gauche. Avec la main droite, j’ai appuyé sur le bouton du barographe pour réduire le rétroéclairage. Le bateau s’est écrasé ou a été percuté par la mer, quoi qu’il en soit c’était un énorme impact, et mes doigts ont quitté le barographe, traversent le tableau de contrôle de bascule de quille et percutent le bouton veille du pilote automatique, qui est à environ 20 cm, éteignant le pilote automatique. Donc à ce moment là le bateau s’écrase, tout s’envole dans la cabine, le bateau se pose de l’autre côté, avec 4 tonnes d’eau de ballast du mauvais côté, 3 tonnes de bulbe de quille du mauvais côté, la grand-voile et le mât sont tenus par la retenue, le tourmentin est remonté dans la dérive, le bateau gîte de 50 degrés, et avance de côté, formant une vague de proue avec le côté du bateau.
Ou c’est du moins ce qui s’est passé selon moi. L’autre possibilité c’est qu’après l’impact, l’alarme du pilote automatique s’est déclenchée avec un message Active Control Unit Missing. Alors peut-être que ce n’était qu’une coïncidence, et que le pilote automatique s’est arrêté par hasard au moment où j’ai appuyé au mauvais endroit de la table des cartes. Nous vérifions avec l’équipe du pilote automatique.
Au final, nous avons changé de bord et avons poursuivi notre route. Mais quand le front est passé, nous avons du changer de direction. Je pense que c’est Jean Le Cam qui a dit : « Tu ne peux pas gagner le Vendée Globe avec un bon empannage, mais tu peux certainement le perdre avec un mauvais » et donc il vire toujours dans le sud, comme Alex Thomson et probablement beaucoup d’autres. Nous avons une bonne manœuvre qui fonctionne jusqu’à 25 nœuds, mais à 30, 35 nœuds, ça ne fonctionne plus si bien. Et la nuit dernière, ça n’a pas fonctionné. C’est une manœuvre complexe dans laquelle le pilote automatique fait virer le bateau. Mais il faut drainer les réservoirs de ballast et centrer la quille à l’avance, le bateau gîte de 50 ou 60 degrés et avance à 70 degrés par rapport au vent, ce qui vous laisse penser qu’il va traverser vent de face. C’est ce qu’il a fait la première fois. Mais ensuite, quand j’ai décidé de revenir et de continuer vers le nord, ça n’a plus fonctionné.
Il faisait nuit noire, le vent soufflait à 35-40 nœuds, avec des vagues de 4-5 mètres, et le bateau gîte à 60 degrés sur le côté. Je travaillais sur le sol du cockpit, accroché à la protection du roof car j’avais peur que si l’une de ces énormes vagues frappait le fond du bateau je sois projeté dans l’eau, par dessus le côté du bateau. C’était incroyablement effrayant. Mais tout ce qu’on peut faire, c’est essayer, sinon le bateau serait resté de côté jusqu’à ce que, qui sait, quelque chose casse ? La situation ne va pas se régler d’elle-même. Donc j’ai continué à essayer et finalement, au bout de 30 minutes et après 10 tentatives de retour dans le vent, nous avons pu virer, et le bateau avançait à seulement 1 nœud. J’ai éteint le pilote automatique, ai sauté sur la barre et ai tiré pour essayer de pousser le bateau. Et maintenant bien sûr, je ne peux rien faire d’autre car je suis revenu à une direction au timon. Mais nous avons réussi. Totalement épuisés. Nous avons replacé le bateau, nous allons là où nous souhaitions allé. Alors je suis allé dans la cabine, j’ai fermé la porte, j’ai grimpé dans mon sac de couchage et ai laissé le bateau faire, je l’espère, ce qu’il a à faire.
Dans la cabine, c’était le chaos. L’un des sacs de couchage a parcouru 4 mètres, passant de tribord à bâbord. J’ai quand même tout retrouvé sauf l’appareil photo Fuji. Je sais qu’il devait être quelque part à bâbord, où il y a 2 couchettes et un espace en-dessous de la couchette du bas. Il était là; sous la couchette du bas, et sous ma pochette d’ordinateur qui était sous la couchette. Chez vous, prenez tout ce que vous avez dans votre chambre, mettez tout dans une bétonnière, et observez comment les objets volent. C’est ce que nous avons vécu cette nuit en mer.