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La prise de décisions, dans le contexte immédiat d’un grain dans l’océan Austral, consiste dans une évaluation du rapport risque-bénéfice. Mon objectif est de rejoindre le plus sûrement possible le cap Horn. Cette tempête est amenée à durer encore 36 à 48 heures, soit un temps très long pour exposer le skipper et le bateau, d’autant que nous avons très récemment eu un triste exemple de ce qu’un tel risque était susceptible d’engendrer, avec le démâtage, aujourd’hui, du bateau d’Enda O’Coineen, sur l’autre flanc de cette tempête.

Le premier objectif est par conséquent de passer cette tempête. Et le deuxième objectif est de passer la tempête qui arrive derrière. Alors essayons-nous d’aller plus vite, en augmentant le risque, dans cette tempête, afin d’échapper à la deuxième tempête ? Ou devons-nous opter pour une option plus sûre et pour la prudence, dans le cas présent, puis aviser lorsque la deuxième tempête se présentera ? Les prévisions concernant cette dernière, après tout, peuvent se modifier dans le bon sens, mais aussi dans le mauvais sens. Mais rien n’est sûr, loin de là, pour l’instant.

Nous avons opté pour la prudence, pour optimiser nos chances de passer ce grain. Nous sommes par conséquent sous une voilure nettement inférieure à celle que nous devrions adopter au vu des spécifications de performance du bateau, selon lesquelles nous devrions prendre deux ris dans la grand-voile, en plus de la trinquette. Nous sommes actuellement sous trois ris dans la grand-voile plus le foc de tempête.

Un autre facteur à prendre en compte est que nous devons veiller à préserver la trinquette, la voile que nous utilisons pour les conditions les plus difficiles, en vue de notre arrivée dans l’Atlantique. Devons-nous par conséquent accroître le risque, pour cette voile, pour le bénéfice de quelques nœuds supplémentaires de vitesse dans la tempête ? Une légère augmentation de la vitesse nous permettra-t-elle d’échapper à la deuxième tempête ? Cela se complique rapidement !

Je considère de surcroît que l’on doit adapter sa navigation à sa nature. C’est cela, pour moi, être prudent. Le foc de tempête me permettrait de dormir un peu, et je serais mieux reposé que si j’étais sous trinquette et si j’allais plus vite, auquel cas le bateau rebondirait et ricocherait sur les vagues, m’empêchant de dormir.

Chaque décision, dans la vie, est susceptible de se produire par tel ou tel effet en matière de risque et de bénéfice. Les conséquences doivent en être soigneusement sous-pesées, afin que la décision finale puisse être prise.